Interdiction de l’intérim en début de carrière infirmière. Des conséquences immédiates sur l’offre de soins


L’article 7 de la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels prévoit l’interdiction de l’intérim en début de carrière des soignants. Cet article aura des conséquence immédiates sur l’offre de soins, en particulier au sein des établissements publics. 

En premier lieu, la rédaction de l’article amène à ne pas fixer comme critère l’année de diplôme mais considère uniquement l’expérience passée hors intérim. Cette subtilité aura pour conséquence immédiate de supprimer des plannings des hôpitaux des soignants chevronnés, parfois avec plus de 10 ans d’expérience, donc capables de s’adapter très rapidement à des services très différents. 

Les rapporteurs de cette proposition de loi ont également choisi de ne pas inclure les contrat de gré à gré, signés entre soignants et établissements, dans cette disposition. On voit ici que l’argument de la qualité des soins allégué lors des débats ne tient guère : comment imaginer qu’un soignant serait par magie plus compétent par le simple fait que son contrat de courte durée soit établi avec un hôpital plutôt qu’avec une entreprise de travail temporaire ? 

Surtout, cette omission aura une conséquence immédiate sur l’offre de soins : 

Comme la loi le leur permet, les entreprises de travail temporaire proposeront dès lors aux établissements de santé des placements en CDD, lorsque les soignants ne seront pas éligibles à l’intérim. Or la grande majorité des CH et CHU ne seront pas capables de gérer du jour au lendemain un flux de signature de contrats de travail quotidiens, avec pour chacun d’entre eux de nombreuses étapes RH et réglementaires à mener à bien rapidement et exhaustivement. 

Les seules structures prêtes et habituées à ce fonctionnement sont les établissements privés, qu’ils soient à but lucratifs ou d’intérêt collectif. Ils seront les heureux bénéficiaires de cette mesure au détriment de la fonction publique hospitalière. 

Les soignants quant à eux enchaineront des CDD à la journée perdant au passage de nombreux avantages sociaux garantis par le statut protecteur de l’intérim. 

Quid des contrats plus long, de 3, 6, mois ou plus que pourraient proposer les établissements publics aux soignants ? L’exemple récent francilien n’incite guère à l’optimisme : L’ARS Ile de France avait annoncé à grand renfort de communication une proposition à tous les intérimaires infirmiers de contrats de 6 ou 9 mois en CDD, assortis d’une prime très importante pouvant s’élever jusqu’à 7000 euros. Bilan plus que mitigé, voire échec cuisant dans certains hôpitaux, et iniquité financière flagrante en interne vis à vis des soignants titulaires. 

Pour quelle raison ? Parce que l’immense majorité des soignants qui ont fait le choix de l’intérim exerçait auparavant au sein de la fonction publique et ne souhaite plus y retourner dans le cadre d’une relation contractuelle. Le directeur général de l’AP-HP l’affirmait lui-même récemment en CME : « le mouvement vers l’intérim concerne davantage les professionnels déjà en poste que les nouveaux entrants fraîchement diplômés. » 

En outre, notre enquête Trajectoires RH 2023 le montre bien : les premières raisons de départ de l’hôpital sont la gestion des planning et l’organisation hospitalière, avant la rémunération. Annulation discrétionnaire des repos, pression managériale pour remplacer à la dernière minute, 3 voire 4 week ends d’affilée travaillés hors de tout cadre réglementaire…Beaucoup de soignants ne sont guère enclins à renouveler l’expérience, même avec une solide prime à l’appui. 

Certains décideurs se plaisent peut être à imaginer ces prochains mois une légion de soignant égarés rejoignant tête basse le troupeau qu’ils ont abandonné. Il n’en sera rien. 

Cette vision est typique d’une conception managériale surannée qui ne perçoit aucun problème majeur au fait de voir travailler des agents qui ne sont présents que par obligation plutôt que par envie. Elle envoie en outre un bien mauvais signal : Quel besoin de mener un complexe travail de fond sur l’attractivité et la fidélisation dans la mesure où la loi assure un contingent de jeunes diplômés qui n’auront pas ou peu d’alternatives ? 

Soignants de formation, les dirigeants de Samsic Médical sont des témoins privilégiés de la pression très grande de l’intérim dans les services de soins, alors que notre métier ne consiste à l’origine qu’à pallier l’absence inopinée de courte durée. Nous avons toujours milité pour une rémunération juste des professionnels, avec un salaire n’obérant pas toute chance pour les établissement de recruter des soignants qui ont fait le choix de l’intérim mais qui souhaitent désormais retrouver une stabilité. 

Certains établissements déplorent désormais une situation qu’ils ont eux-mêmes créé, en ne respectant pas les propres clauses de leurs marchés publics, faisant appel à des entreprises prédatrices qui facturent à l’hôpital des montants inacceptables. 

Le retour à une place raisonnée de l’intérim au sein des établissements de santé français passera nécessairement par une refonte complète des politiques salariales et managériales de la fonction publique hospitalière, qui risque malheureusement d’être retardé par des décisions artificielles et non pérennes.